17 May 2024
Opinion

“Plus d’un tour dans leur sac”, Deo Gratias Kindoho sur la réforme constitutionnelle en gestation au parlement béninois

  • 27 janvier 2024
  • 8 min read
“Plus d’un tour dans leur sac”, Deo Gratias Kindoho sur la réforme constitutionnelle en gestation au parlement béninois

Une proposition de réforme constitutionnelle est en gestation au parlement béninois. Un texte formulant des amendements à la réforme constitutionnelle du 31 octobre-1er novembre 2019 est à l’Assemblée nationale. Le contenu du texte soulève bien des questionnements. Il n’a pas échappé à l’analyse du journaliste Deo Gratias Kindoho. L’ancien journaliste de l’Ortb passe au scanner les non dits entre la décision de la Cour constitutionnelle et le texte d’amendement à la réforme constitutionnelle fraîchement déposé au parlement. Lisez plutôt..

 

Quand des compatriotes nous prennent pour des cons patriotes! Pendant que Patrice Talon jurait récemment ne pas être intéressé par une quelconque nouvelle révision de la Constitution, ses bras parlementaires avaient déjà une proposition de nouvelle réforme constitutionnelle prête à être introduite à l’hémicycle. Mais je vous interdis ne serait-ce que d’entrevoir la main du Chef de l’État derrière ladite proposition, l’ayant entendu jurer qu’il n’en est pas demandeur. Je ne signalerai pas non plus qu’il a cependant ajouté que si les députés détectent des imperfections dans la loi, libre à eux d’y remédier. Tout cela remonte à moins d’une semaine.

À peine, a-t-il fini de rencontrer les lieutenants de ses deux partis politiques que le bruit a commencé à courir. Un texte formulant des amendements à la réforme constitutionnelle du 31 octobre-1er novembre 2019 est à l’Assemblée nationale. Je rejetais toute certitude à ce sujet jusqu’à hier soir, lorsque le texte m’est parvenu. Il aurait été déposé finalement dans l’après-midi d’hier. Ses concepteurs prennent appui sur la DCC 24-001 du 4 janvier 2024. Par cette décision, la Cour constitutionnelle saisie d’un curieux recours appelle à corriger certaines dispositions du code électoral en vue de dissiper un flou supposé par le requérant quant au statut des maires qui doivent parrainer les candidats à la présidentielle de 2026. À ce moment-là, certains maires fraîchement élus seront déjà entrés en fonction et pas d’autres. Le requérant juge également inéquitable que ce soit les députés élus en 2023 qui parrainent les candidats à la présidentielle de 2026 alors que leurs successeurs auraient déjà été élus.

La Cour lui a répondu que le mandat des députés élus en 2023 se poursuit pendant la période de délivrance des parrainages. L’institution n’invente rien à ce propos. La Constitution même indique que le mandat des députés prend fin à l’installation de leurs successeurs. Débat clos ? Loin de là. Les initiateurs de la proposition d’amendement de la réforme constitutionnelle de 2019, les mêmes qui avaient pondu la réforme lors d’un entre-soi de triste mémoire, se comportent comme si la Cour n’avait pas déclaré qu’il n’y a pas de problème au niveau des députés concernant les parrainages. Faisant fi de la DCC 24-001, ils avancent que les parlementaires en fonction depuis 2023 n’auraient plus de légitimité politique au moment d’attribuer leurs parrainages puisque leurs successeurs seraient déjà élus. Figurez-vous que c’est aussi la position du président de la République qu’il avait partagée avec les députés de l’opposition en les recevant à la Marina lundi.

Donc, c’est forts de ce qui précède notamment qu’il leur paraît impératif de retoucher leur loi modificative de la Constitution du 11 décembre 1990. J’en déduis la confirmation de l’autre bruit qui avait circulé dans l’opinion à l’annonce du recours prémisse de la DCC 24-001 : la Cour constitutionnelle devait prétexter de ce recours pour ordonner la révision de la Constitution. Il semble qu’à la dernière minute, quelqu’un a oublié de prendre sa dose de miel.

Artificieux mais pas que…

Parcourir les amendements proposés a été une séance de rigolade pour moi, que le contenu force le ridicule ou l’inquiétude. Vu combien je les connais, plus rien venant d’eux ne m’étonne.

Ils envisagent essentiellement d’inverser l’ordre de ce qu’ils appellent par ignorance, « élections générales ». J’avais déjà relevé en 2019, dans mon procès de la Constitution halloween, que le concept « élections générales » signifie toutes les élections à la fois. Pas des législatives et communales combinées et une présidentielle des semaines après. Dans leur schéma de 2019, les députés et les maires sont élus en janvier, les président et vice-président de la République en avril. Là, ils proposent de fixer l’élection du président de la République et du vice-président au mois de février pour une prestation de serment en mars et d’envoyer les législatives et communales couplées en mai. Car, se sont-ils subitement rappelés, << l’élection présidentielle est l’élection majeure dans un régime présidentiel, parce que le président de la République est le titulaire du pouvoir exécutif et la clé de voûte du régime constitutionnel et du système politique >>. << À ce titre, poursuivent-ils, l’élection du duo président de la République et vice-président de la République devrait être le fer de lance des séquences politiques déterminées par l’alignement des mandats électifs >>. Et d’en inférer que << l’organisation des élections législatives et communales avant celle du duo président de la République et vice-président de la République n’est pas conforme à la nature présidentielle de gouvernance politique, économique et sociale >>. Il faut croire que fin octobre 2019, ils n’avaient pas encore terminé leurs cours du soir en sciences politiques. Dieu sait s’ils ont eu le diplôme.
Patrice Talon voudrait nous rembourser les 48 jours de bonus qu’il s’est accordés à la fin de son premier quinquennat qu’il devrait trouver mieux. Encore que… Les porteurs de la nouvelle réforme constitutionnelle n’ont pas indiqué de date d’entrée en vigueur pour les nouvelles dispositions constitutionnelles qu’ils ont concoctées.

…Dangereux aussi, évidemment

Patrice Talon va-t-il quitter le pouvoir en 2026 ? Je ne limite pas la question à « Va-t-il cesser d’être président de la République? » Il peut bien aussi être vice-président de la République, un président qui ne dit pas son nom. Il saura toujours se dégoter la marionnette idéale.

Après avoir lu ce que ses députés trament à nouveau, ma méfiance s’est accrue. En 2019, son objectif n’était pas de s’octroyer un troisième mandat. Il lui paraissait plutôt important de s’adjuger d’avance le second auquel il allait légalement prétendre dans deux ans mais qui pouvait se refuser à lui s’il ne monopolisait pas le processus électoral. C’était à cette fin que la loi modificative de la Constitution du 11 décembre 1990 fut préparée et adoptée nuitamment en un temps record. Puisqu’il ne visait pas – disons dans l’immédiat – un troisième mandat, il avait fait inscrire à l’article 2 de la loi modificative qu’elle n’établit pas une nouvelle République. En ruse générale, c’est à travers ce genre de considération ou de lecture que les « experts » coudent pour nos chefs d’Etat, le droit de se perpétuer à la tête de nos nations. Sans avoir été spécialement rassuré par cette précision à l’époque, je trouve quand même étrange, la façon dont en ont disposé les réformistes du saigneur.
Dans la réforme de la réforme lancée à toute vitesse, la mention << la présente loi constitutionnelle portant révision de la Constitution n’établit pas une nouvelle République >> a disparu de l’article 2. C’est obscur. Et tel un écran de fumée servant à détourner l’attention, ils font porter nos craintes d’un troisième mandat de Patrice Talon à l’alinéa 2 de l’article 42 de la loi modificative de la Constitution du 11 décembre 1990 : << en aucun cas, nul ne peut, de sa vie, exercer plus de deux mandats présidentiels >>. Puis ils argumentent : << on a pensé que l’alinéa 2 de l’article 42 avait définitivement épargné le Bénin d’une telle dérive. Toutefois, la rédaction de ce texte paraît malheureuse et prêterait à plusieurs interprétations, y compris celle qui autorise une troisième candidature après une double élection >>. Pour empêcher pareil angle d’interprétation, qu’est-ce qu’ils recommandent ? Eh bien, que l’expression « en aucun cas » soit remplacé par « dans tous les cas ». Si vous voyez la pertinence de la nuance, consultez un ophtalmologue de toute urgence.

 

Deo Gratias Kindoho

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